Spiritualité et engagement historique : le cas du cheikh Ahmad Ben Youssef (X/XVI siècle)
Par Mustapha Cherif
Le cheikh Ahmad Ben Youssef ne vécut pas en ascète contemplatif et solitaire, mais en homme d'action vivant conformément à cette sagesse prophétique : « Agis pour ta vie ici-bas comme si tu devais vivre éternellement, et agis pour ta vie future comme si tu devais mourir demain ». L'adhésion du cheikh à la tariqâ Shâdhiliyya renforça son autorité, et revivifia le shâdhilisme auprès du peuple profond. Mais en même temps, à cause de sa popularité, il s'attira la méfiance des pouvoirs politiques de l'époque. Cela prit de l'ampleur lorsqu'un important savant et soufi de Tlemcen, Muhanimad Ben Yousset al-Sanûsî décréta publiquement qu'il reconnaissait en Ahmad Ben Youssef un saint et le maître «le l'heure ». De plus le cheikh se préoccupait vivement de l'état du Maghreb en particulier, et de celui de la communauté musulmane en général. En I492, date de la prise de Grenade, notre cheikh avait soixante ans et considérait qu'il la fallait organiser la résistance, au vu des tentatives espagnoles et portugaises d'occuper le nord du Maghreb. En 1415, les Portugais avaient occupé Ceuta, qui leur fut enlevée en I580 par les Espagnols. Lcs soufis se sont regroupés sous la bannière d'Ahmad lien Youssef et de la tarîqa Shàdhiliyya. Les zâwiya sont devenues des refuges et des forteresses. Au début du XVI siècle, Oran et Béjaïa tombèrent aux mains des Espagnols. Le cheikh décida de faire appel à « la Sublime Porte », en la personne des frères Barbaros [Barberousse), chefs de la marine turque en Méditerranée. Entre-temps, il entra en conflit avec le sultan de Fès et l'émir de Tlemcen. Il donna alors l'investiture aux chefs militaires turcs : après quelques défaites et difficultés, la tentative de colonisation espagnole fut mise en échec en 1543, soit plus de vingt ans après la mort du cheikh.
Le cheikh avait des démêlés avec les pouvoirs locaux, car il s'opposait à l'injustice et à l'oppression. Il écrivit un jour à l'émir de Fès. "Abd" Allâh al-Ghâlib, une lettre dont le sens reste énigmatique â ce jour : « Le Seigneur m'a accordé Sa justice et a fait mon portrait d'après Ses propres attributs, si bien que je suis Lui el que Lui est moi. Prince des croyants, ne persécute pas mes fuqarâ sinon les savants (al-ûlamâ) te confectionneront un burnous de neige et t'en revêtiront en pleine canicule, avec de l'eau ils te feront une chandelle, avec du brouillard ils te feront des mèches ». À la lecture de ce message, l'émir al-Ghâlib rassembla les savants pour qu'ils le lui décryptent, mais ce fut en vain. Le cheikh Ahmad Ben Youssef l'ut emprisonné deux fois par les Ziyanis, qui gouvernaient l'ouest de l'Algérie actuelle, la première fois par 'Abd Allah Thâbit, qui exerça son pouvoir de 1504 à 1516, la seconde par Abu Hamû Mûsâ, qui régna de 1516 à 1527, pour des motifs d'opposition, dus en vérité aux critiques fondées du cheikh sur les déviations du pouvoir.
Ahmad Веn Youssef était attaché à l'indépendance de son pays. À son allie turc Khayr al-Dîn Barberousse, il écrivit : « Ton pouvoir ne s'exercera ni sur nous, ni sur nos descendants ni sur nos adeptes. Tu auras la sagesse de tenir compte de ceci, sinon tu seras sanctionné comme il se doit ». Toutefois, le cheikh approuva la présence ottomane en Algérie, comme un bouclier face aux tentatives: d'incursions étrangères.
Après la mort du cheikh, les pouvoirs ottomans du dey d'Alger et du bey d'Oran ont entretenu la mémoire du grand soufi.
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