Résumé de la 8e partie n Après que El-Hadj Amrouch se fut déguisé en femme et eut traité toute la djemaâ de femme car n'ayant rien fait pour venger son honneur, tous les Aït Menguellet prennent les armes et vont vers les Aït Yahia...
En route, elle (la troupe) fut grossie des contingents des villages voisins, heureux de saisir l'occasion présente pour piller Bou-Dafal, s'agrandir aux dépens de son riche territoire et régler par la force des armes de vieilles contestations ; tous, du reste, reconnaissaient le bon droit des gens de Taourirt et avaient souffert de leur inaction en présence du viol de leur anaïa.
Comme une trombe, ravageant tout devant elle, coupant les arbres, incendiant les azibs, la colonne se rua vers Bou-Dafal. Les habitants, trop peu nombreux pour résister, avaient abandonné le village. Les envahisseurs, la torche à la main, parcouraient les rues, ils arrivèrent à la Djemâa, où ils trouvèrent quelques vieillards appartenant à la famille coupable du meurtre d'Amar Amzian, et qui s'offraient à la mort pour sauver leur karouba d'un désastre plus grand. Sans être touchés de ce dévouement, les Menguellet les égorgèrent et bientôt Bou-Dafal ne fut plus qu'un vaste brasier. Les Aït Yahia, campés sur les hauteurs, de l'autre côté du grand ravin, assistaient, impuissants, à la destruction de leur village ; bien que toute la tribu se fût rassemblée pour défendre, au besoin, le territoire d'Aït Hichem, village qui avait donné l'hospitalité aux meurtriers, elle ne se sentait pas de taille à se mesurer avec les farouches Menguellet.L'opinion publique, en Kabylie, donnait, du reste, tort aux Aït Yahia qui, ayant, en pleine paix, violé l'anaïa, paraissaient indignes de tout appui. D'un autre côté, ne pouvant, sans être taxés de lâcheté, livrer les réfugiés, ils se décidèrent à attendre, dans l'inaction, l'attaque des envahisseurs.
Elle n'eut pas lieu. Les Aït Menguellet campèrent sur le village incendié, démolissant le peu de murs restés debout, satisfaits du sang répandu, épuisant leur fureur sur des objets inanimés. Après trois semaines d'occupation, ils firent venir leurs charrues et labourèrent sur les ruines : d'un village florissant, il ne restait plus que des champs pierreux. Cet état de choses durait encore vingt ans avant la conquête française. A cette époque, les gens de Bou-Dafal, par l'entremise des marabouts, sollicitèrent des Menguellet l'autorisation d'occuper leur village et de rebâtir les maisons de leurs pères. Les haines s'étaient calmées, le souvenir du viol de l'anaïa affaibli. Les bannis purent relever leurs murs, et leur village, bien que diminué de ses meilleures terres au profit des marabouts de Taourirt, est aujourd'hui un des plus florissants et des plus pittoresques de la Grande Kabylie.
M'kabra, la chienne morte en défendant l'hôte de son maître, fut enterrée sous une pierre, à la porte de la Djemaâ, comme si elle eût été un croyant : honneur bien rare dans un pays où le mot chien équivaut à la plus cruelle injure.
Depuis cette époque, en souvenir du châtiment infligé aux violateurs de l'anaïa, la coutume sacrée par excellence, et aussi pour honorer le souvenir de la courageuse bête, le puissant village des Aït-Menguellet fut nommé Taourirt n'Tidits, le «Mamelon de la chienne.»